Bayer aux corneilles
Rester inactif, regarder en l'air sans rien faire
Surpris par l'orthographe ? Eh non, ce n'est pas une faute de frappe. Ceux qui écrivent bailler au lieu de bayer se trompent. Bayer est un verbe au sens comparable à béer, à savoir "avoir la bouche
ouverte".
Quant aux corneilles, que désignent-elles ?
- l'oiseau petit au plumage terne, de la famille des corbeaux ?
- le fruit du cornouiller, arbuste des bois et des haies ?
Que l'on décide d'opter pour l'un ou pour l'autre, le terme désigne, au XVIème, un "objet insignifiant, sans importance", ce qui se retrouve dans les expressions liées aux 2 définitions ci-dessus
:
- Lorsqu'on choisit de parler d'oiseau, voler pour corneille signifie que l'on chasse un gibier sans intérêt, sans valeur. Il faut savoir qu'au XVIIème, on ne disait pas "bayer aux corneilles",
mais "bayer aux grues", ce qui ferait pencher la balance vers les oiseaux plutôt que les fruits... mais il ne faut rien négliger.
- Lorsqu'on se réfère au fruit, s'exclamer des corgnolles ! (autre appellation du fruit), équivaut à rien du tout ! en Picardie.
Il est également possible de trouver une redondance entre le terme de corneille et celui de corniole, qui signifie gosier, ou gueule. Et l'on retrouve notre idée de bouche ouverte sans raison.
Ainsi, en s'attachant au sens premier des termes, bayer aux corneilles pourrait se traduire par "ouvrir la bouche devant une chose sans intérêt aucun". L'image à laquelle cela renvoie n'est pas
très flatteuse, faut avouer... comme une impression de lobotomisé... ? Remarquez, si on veut rester dans l'ornithologie, on se rapproche de la cervelle d'oiseau...
"L'oiseau, c'est une idée en l'air. JEAN ROLLIN"
Etre copains comme cochons
Etre très amis, très complices.
Certains n'auront pu s'empêcher de se dire, au lu de cette expression, qu'ils n'avaient jamais pris conscience qu'une camaraderie particulière liait les gorets... et au final, qu'ils se rassurent :
même les spécialistes de la race n'en font pas état !
Car l'expression ne se réfère aucunement à la gente animale : la confusion est liée, comme souvent, à une altération des fondements de notre langue.
En l'occurence, c'est ici le mot soçon, dérivé lui-même du latin socius, et signifiant "camarade" ou "associé", qui est à l'origine de l'emploi de celui de "cochon". En effet, soçon devenait
parfois chochon, et il n'est pas difficile d'imaginer qu'il a pu dériver encore jusqu'à devenir cochon. (Je parle du substantif en lui-même, ne cherchez aucune grivoiserie là-dedans...)
On peut suivre une seconde piste en apprenant qu'il existe un autre substantif : cosson, qui désigne les marchands et les courtiers du XVIIIème siècle. Le fait que, dans le Nord de la France, le
terme employé ne soit pas cosson mais cochon, peut aussi être mis à l'honneur, car il est tout à fait plausible de croire en une forte complicité entre personnes de même profession.
Néanmoins le fait que cette expression soit ancienne peut démentir cette hypothèse.
En effet, si elle existe sous cette forme depuis le XIXème siècle, elle existait déjà sous la forme de être amis comme cochons au XVIIIème, et de camarades comme cochons au XVIème. Donc avant
l'emploi du terme cosson.
Le fait que le terme employé pour définir le lien entre les deux personnes visées par l'expression ait ainsi changé au fil des siècles signifie-t-il que c'est la nature de ce lien qui évolue, et
donc la signification profonde de l'expression, ou bien que ce sont les termes employés pour le définir ?
Se poser la question n'est pas anodin, car on peut tout aussi bien se rendre compte que, de nos jours, certains utilisent pour parler de lointaines connaissances le terme d'"amis"... parce que
c'est plus gentil ? Parce que ça fait mieux et plus "riche" socialement ? Parce qu'ils sont idéalistes, ou naïfs ?
Difficile de ce fait d'accorder à certains termes employés une vraie valeur commune... à moins d'être certains que ceux qui les emploient s'y intéressent vraiment et qu'ils défendent les subtilités
de notre langue... à bon entendeur... ?
"Un ami, c'est quelqu'un qui vous connaît bien et qui vous aime quand même. Hervé LAUWICK"