Il était une fois, un tout petit lutin, un lutin que la vie avait trahi.
Il avait tant à lui pardonner qu'il décida de gravir une montagne, si haute qu'il lui semblait qu'elle serait inaccessible et qu'il serait mort avant d'y arriver.
Il partit, un matin, à l'aube, seul. Il ne voulait avertir personne. Il avait bien un peu peur... mais, il était comme ça. Il ne voulait pas déranger.
Il commença l'escalade.
Ce n'était pas facile... C'était même très dur !
Alors qu'il était prêt à tout laisser tomber, non pas à rebrousser chemin, il aurait eu trop honte, mais à s'asseoir, là, sans plus rien dire, il vit une fourmi, tout près de lui.
Elle portait une graine plus de trois fois grosse comme elle ! Ce devait être bien difficile aussi, mais elle ne pliait pas.
Le petit lutin se releva. Il poursuivit son chemin... encore un peu.
Au moment où le soleil se couchait, il s'arrêta sous un arbre. Il était bien fatigué.
Le petit lutin s'était couché sous un arbre, parce qu'il était bien fatigué... Il s'endormit.
Et tu sais, ou tu ne sais pas, mais, les lutins, qui vivent si vieux, ont besoin de très peu de sommeil.
C'est d'ailleurs pour ça qu'ils peuvent venir dans les maisons pour aider les gentils ou pour mettre le bazar quand les gens sont trop méchants.
Ce lutin-là, il n'avait jamais fait de mal à personne... il voulait seulement réussir à oublier.
Pendant qu'il dormait, un rossignol vint se percher sur l'arbre et il se mit à chanter.
Tu sais que les rossignols chantent la nuit ? Ce que tu ne sais pas, c'est que leur chant a des vertus thérapeutiques. Il guérit ceux qui ont l'âme en peine... le plus souvent !
Il y a un "mais", bien entendu... il faut pour cela que celui qui a l'âme en peine puisse l'entendre alors qu'il est endormi...
Malheureusement, le petit lutin entendit les premières notes de la chanson du rossignol et s'éveilla tout de suite...
Nous en étions au petit lutin qui s'était réveillé aux premières notes du rossignol.
Tu vois, ça, c'était vraiment dommage.
Mais, le rossignol trouvait que le petit lutin était bien gentil. Il ne lui avait pas lancé de caillou, contrairement à ce que faisaient certains, les jaloux...
Il l'avait seulement regardé, un peu étonné.
Il lui avait demandé comment il se faisait qu'un petit oiseau minuscule et pas vraiment très joli puisse chanter une aussi belle chanson.
- Pas joli ? Moi ? je ne suis pas très joli ?
Le rossignol failli mourir de rire ! Il expliqua au lutin que ce qui comptait, ce n'était pas l'apparence... Que d'autres oiseaux, bien plus beaux, avaient une bien moins belle voix, et qu'ils n'étaient pas si gentils !
- Ah... (ça c'était le lutin... qui ne savait plus trop quoi dire)
- Mais il faut donc tout t'apprendre ? Lui dit le rossignol. Où vas-tu ?
- Je vais là-haut, sur la montagne, tout en haut... Il faut que je sache ce qu'il y a en bas.
- Tu vas en haut pour savoir ce qu'il y a en bas ? Tu as de drôles d'idées, toi ! Tu ne penses pas que ce serait plus facile d'aller en bas ?
Le lutin regarda le rossignol sans rien dire. Il ne pouvait pas lui expliquer que, justement, il venait d'en bas... et que s'il allait en haut, c'était pour voir si de là-haut la vie semblait plus belle !
C'est vrai ! Je ne t'avais pas dit que mon lutin était bleu, bleu comme les mots que je dépose sur tes pages, ici.
Il était bleu comme un coin de ciel, tu sais, un petit coin de ciel, celui qu'on aperçoit parfois entre deux nuages.
Il aurait dû être heureux, tout le monde le lui disait, à longueur de journée. "Mais pourquoi donc es-tu triste ? Tu as tout le nécessaire..." Mais oui, il avait tout. Si l'on veut. Il avait à manger, à boire, et de temps à autre, il avait même des amis qui venaient lui raconter des histoires...
Mais, ce qu'il aurait aimé, c'est pouvoir dire son chagrin, son rêve détruit. Et ça, il ne le pouvait pas. Personne n'aurait compris.
Lui, il aurait aimé être un oiseau... ou un poisson... ou même une araignée, de celles dont les toiles se perlent de rosée dans le soleil pâle du matin. Il aurait aimé être n'importe quoi, mais surtout pas lui.
Pourquoi ? Parce qu'un jour, comme ça, entre deux portes, il avait surpris un secret... On ne devrait jamais les dire, car c'est ainsi qu'ils sont découverts par ceux à qui on voulait les taire.
Il n'avait jamais compris pourquoi les autres se moquaient de lui quand il chantait, pourquoi ils riaient si fort quand il essayait de danser, pourquoi les mots qui lui venaient n'étaient jamais ceux qu'il aurait fallu dire...
Ce jour-là, il avait tout compris.
Il ne ressemblerait jamais aux autres lutins de la forêt des merveilles, il ne saurait jamais évoluer avec grâce sur les planchers de bois ciré, il ne saurait jamais déclamer, et encore moins chanter, comme il aurait voulu le faire. Il ne le pouvait pas... il lui manquait ce petit quelque chose que la vie ne lui avait pas donné.
Il serait toujours "différent", inutile...
Le petit lutin bleu se mit à regarder le rossignol. Il avait des larmes dans les yeux. Je crois qu'il avait parlé sans le vouloir, et ses mots, ceux dont tous se moquaient, n'avaient pas semblé incohérents au rossignol.
- Mais non ! Pourquoi dis-tu que tu es inutile ? Je suis sûr que tu vas trouver une place ! Je t'accompagne, tout en haut, tu verras.
Le voyage dura un peu, parce que la montagne était bien haute, et le lutin tout petit.
Tandis que le lutin grimpait, s'arrêtant de temps à autre pour boire à l'eau des ruisseaux ou pour grignoter quelques myrtilles (tu me diras qu'il allait se salir... mais il était déjà tout bleu !), le rossignol lui racontait ce qu'il voyait.
Il lui donnait des mots... des couleurs... il habillait le vide de tout ce que le lutin n'avait pas encore pu admirer. Parfois, il s'envolait très haut, puis revenait se percher sur son épaule.
C'est à ce moment-là que le petit lutin se sentait bien... mieux que jamais.
Peu à peu, il apprit que ces mots étaient aussi à lui, qu'il pouvait s'en servir et que ce n'était pas si grave de ne pas savoir chanter comme le rossignol, que ce n'était pas si grave de ne pas savoir danser.
Il se mit à rêver de choses si belles qu'il put enfin les peindre en mots.
Tout en haut de la montagne, il se pencha... il essaya d'apercevoir la forêt, les autres lutins.
Tu sais bien que c'est impossible ! Ils étaient bien trop haut !
Le rossignol, qui n'avait rien perdu de la surprise que ressentait le petit lutin bleu, lui dit alors son secret :
- "Tu n'es pas un oiseau, non, tu n'es pas non plus un petit poisson au fond de l'océan. Ce n'est pas grave. Des oiseaux, il y en a des milliers dans le ciel, des poissons, il y en a des milliers dans l'océan... et, tu vois, même les araignées qui te semblent si parfaites quand elles tissent leur toile, inlassablement, du matin au soir et du soir au matin, il y en a tant et tant que tu ne pourrais pas arriver à les compter toutes ! Tu crois que tu es inutile... tu as tort. Chacun a sa place et le monde est très grand.
Tu vois, ce qu'il faut que tu saches, ce qu'il faut que tu n'oublies jamais, c'est que la vie ne t'a jamais trahi. Elle t'a donné tout ce qu'il fallait pour que tu puisses être toi, seulement toi, toi l'unique. Toi seul es arrivé au sommet de cette montagne où aucun lutin n'était jamais allé. Maintenant, tu vas pouvoir descendre dans la vallée, te perdre à nouveau dans la forêt, plus jamais personne ne pourra se moquer de toi.
Toi, tu seras le seul à pouvoir leur raconter ce qu'ils ne savent pas."
Voilà... On dit que le petit lutin bleu avait appris du rossignol la joie d'être soi, seulement soi, avec toutes ses différences.
Quand il revint dans son village, il avait, sur l'épaule, un drôle de petit oiseau brun... et, chaque nuit, pendant que le lutin dormait, le rossignol, tout doucement lui murmurait sa chanson.
Accepte toi comme tu es
Cette histoire c'est Quichottine, perchée sur mon épaule qui me l'a murmuré doucement à l'oreille.